La figurine de Gabriel G
- anekdotesmegen
- 30 avr. 2021
- 2 min de lecture
Voici l'anecdote envoyée par Gabriel G. sur notre adresse mail anekdotes.megen@gmail.com

Quand je regarde cette figurine, je ne peux m’empêcher d’avoir un bref dialogue intérieur :
- Elle est mal peinte, hein ?
- Oui, elle est mal peinte.
- Elle te plaît quand même ?
- Oui, elle me plaît quand même.
Ce petit objet, haut de 2,5cm ne se limite pas seulement à être une simple représentation d’un guerrier (peut-être assassin ?) figé dans un geste épique, à deux doigts de donner le coup fatal à son ennemi imaginaire. Non, loin de là.
Quand je regarde cette figurine, j’entends la voix d’Albert Camus.
Que vient-il faire là celui-là ? Qu’est-ce qu’un philosophe mort depuis plusieurs décennies a à voir avec ce truc qui d’année en année prend la poussière sur mon étagère ? Camus était-il lui aussi un épéiste ? Un assassin ? Un homme qui s’enfuit dans la nuit, enveloppé d’une toge rouge cachant son arme et son méfait ? La notoriété laisse plutôt l’image d’un personnage calme, le regard fixé vers un horizon, une cigarette déjà consumée dans sa main droite.
C’était il y a trois ans. Je prenais place sur mon bureau, un pinceau à la main, quelques pots de peinture près de moi, face à cette tout petite figurine de métal. Derrière moi, le Témoin de la liberté, discours de Camus prononcé en 1948. Les premières paroles tombent « Nous sommes dans un temps où les hommes poussés par de médiocres et féroces idéologiques s’habituent à avoir honte de tout ». La cape rouge est peinte, légèrement assombrie à l’aide d’une peinture noire bien diluée.
Quelques minutes plus tard, le philosophe poursuit « […] si la mort est abstraite, c’est que la vie l’est aussi » Je finis l’épée, hésite à faire des effets de rouille ; j’essaye, n’y arrive pas ; renonce. Pendant ce temps là Camus parle, me parle, du rôle de l’artiste, de ce que c’est, et de son rôle dans un monde qui vient de connaître les premières bombes atomiques, les camps de concentration (sans en avoir conscience encore). Je nettoie mon pinceau après avoir achever le visage. « Vouloir dominer quelqu’un ou quelque chose, c’est souhaiter la stérilité, le silence [...] » l’homme reprend son souffle puis reprend « Il n’y a pas de vie sans dialogue ». La figurine est finie. Le discours aussi.
Quand je regarde cette figurine, j’entends la voix d’Albert Camus.
Merci Gabriel pour votre participation !
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